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Politique : la victoire des religions

En Libye, au Maroc, en Tunisie et en Egypte, les majorités qui se construisent autour d’une inspiration musulmane inquiètent les analystes politiques occidentaux. Pourtant, en Europe, notamment en Italie en en Espagne, la religion fait aussi son grand retour au sommet des États.

Espagne – « Je suis un catholique espagnol né à Saint-Jacques de Compostelle il y a 56 ans ». Celui qui se présente ainsi n’est pas un pèlerin éclairé par sa naissance près du tombeau de Saint Jacques et qui voudrait rejoindre Jérusalem ou Rome par les chemins. Non, c’est un homme politique, le nouvel homme fort de l’Espagne, Mariano Rajoy, futur premier chef du gouvernement espagnol qui prendra ses fonctions le 22 décembre 2011. Elevé par des religieuses dans la plus austère tradition catholique, il est clairement opposé à la libéralisation de l’avortement et au mariage homosexuel. Il peut ainsi compter sur le soutien sans faille des évêques espagnols. Concrètement, la Commission permanente de l’épiscopat a même « éclairé » la conscience des électeurs catholiques à la veille des législatives, diffusant un texte mentionnant « les risques que représentent des législations qui ne protègent pas de façon adéquate le droit fondamental à la vie humaine, de sa conception jusqu’à la mort naturelle. » Le cardinal de Madrid, Monseigneur Rouco a même offert « sa coopération spécifique, ses prières et celles des catholiques » au candidat Rajoy. Un accord gagnant/gagnant.

Comme si le succès des Journées Mondiales de la Jeunesse (JMJ) organisées à Madrid en août dernier préfigurait la victoire – en novembre – des conservateurs aux élections législatives. Il y a bien longtemps que les catholiques n’ont autant influencé la vie politique espagnole. Quant au Parti Populaire, c’est simple, depuis sa création en 1989, il n’a jamais eu un tel pouvoir. Majorité dans les deux chambres et large domination territoriale puisque le parti de Mariano Rajoy dirige aujourd’hui 3811 villes espagnoles et 11 des 17 communautés autonomes.

Italie. Restons sur la rive Nord de la Méditerranée pour rejoindre l’Italie ou les « Supers Mario » endossent le costume d’envoyés de Dieu. Prenons Mario Monti, nouveau chef du gouvernement étroitement surveillé par le Pape. Immédiatement après avoir été nommé, il a reçu un appel sur son téléphone portable. Le secrétariat du Vatican lui a directement passé Benoît XVI qui tenait à lui prodiguer quelques conseils éminemment politiques. Il faut dire que la veille, dimanche 13 novembre, le futur Président du Conseil était poursuivi par les caméras jusqu’aux bancs de l’église Saint-Yves-de-la-Sagesse, à deux pas du Sénat italien. Comme chaque dimanche, il se rendait à la messe en compagnie de son épouse. La même depuis 40 ans. Une première apparition en forme de profession de foi. Comment s’étonner dès lors que le gouvernement Monti soit plus « catholique pratiquant » que véritablement « technicien », contrairement à la présentation officiellement faite dans les communiqués de presse. Sur dix-huit ministres, plus de la moitié bénéficie d’une totale confiance du Vatican. Ministre de la Coopération et fondateur de la communauté de Sant’ Egidio, Andrea Riccardi est un proche du Pape. Ministre de la Culture, Lorenzo Ornaghi est recteur de l’Université Catholique du Sacré-Cœur de Milan et vice-président du journal des évêques italiens. Ministre des Relations avec le Parlement, Piero Giarda, est professeur au sein de la même Université Catholique du Sacré-Cœur. On peut aussi citer Corrado Passera, ministre du développement et des transports, Francesco Profumo au ministère de l’éducation, Paola Severino à celui de la Justice, Renato Balduzzi au ministère de la Santé et Piero Gnudi, ministre du Tourisme et des Sports. Tous revendiquent leurs liens avec l’Eglise, l’influence de ses valeurs. Dans le premier discours définissant la politique générale de ce gouvernement, le président du Conseil Mario Monti (ironiquement surnommé « Le Cardinal » par la presse italienne) a d’ailleurs beaucoup insisté sur « le sens de la famille » et « la promotion de la natalité », sujets chers au Vatican. Dans les autres projets remarquables de ce gouvernement, une très commentée « Haute Ecole de Lutte Contre la Criminalité ». Ce remède anti-mafia porté par la ministre de l’intérieur Anna Maria Cancellieri est un institut international qui bénéficiera de gros financements. Il devrait s’installer à… l’Université Catholique du Sacré-Coeur ! La boucle est bouclée.

BCE. L’autre « Super Mario » c’est bien sûr Mario Draghi, l’ex gouverneur de la Banque d’Italie qui vient de remplacer Jean Claude Trichet à la présidence de la Banque Centrale Européenne. Etudes primaires et secondaires chez les jésuites, rigueur, costumes sombres et chemises blanches, mais surtout mariage avec Maria Serenella Capello, aristocrate vénitienne dont l’illustre famille catholique a donné nombre d’évêques et généraux d’armée à l’Italie. Difficile d’obtenir des informations ou des appréciations sur Mario Draghi. L’Italien le plus influent du monde selon un récent classement du magazine américain « Forbes » est aussi extrêmement discret et vigilant sur le respect de sa vie privée. Il défend son image de démocrate-social centriste pouvant aussi bien travailler avec des dirigeants de gauche qu’avec des conservateurs, aussi bien rencontrer des émissaires papaux que des francs-maçons américains. Mais parmi ses proches collaborateurs, la présence de fervents catholiques est notable. Piero Giarda, nouveau ministre et professeur à… l’Université Catholique du Sacré-Cœur, a ainsi fait ses armes aux côtés de Draghi alors gouverneur de la Banque d’Italie.

Maghreb et Moyen Orient. La victoire d’Ennadha en Tunisie, du Parti Justice et Développement au Maroc, le succès prévisible des Frères Musulmans en Égypte, l’influence annoncée de la loi islamique sur la prochaine constitution libyenne prouvent que les mouvements d’inspiration religieuse incarnent une voie majoritaire d’alternative politique aux anciens régimes, dictatoriaux et corrompus. Avec stupeur, certains découvrent que les peuples arabes se sont battus pour la démocratie, pas forcément pour la séparation de la mosquée et de l’État. Pourtant, dès le début du « Printemps Arabe », beaucoup de révolutionnaires confondaient le politique et le religieux. Dans ces quatre pays, les responsables de partis islamistes modérés accèdent au pouvoir politique et leurs projets vont se confronter aux exigences de la cohésion nationale. Extrémistes, ils deviendront rapidement impopulaires. Trop modérés, ils seront soupçonnés de collusion avec les dirigeants occidentaux qui ont longtemps tolérés les régimes dictatoriaux.

Turquie. La voie est donc étroite pour ces premiers dirigeants issus du suffrage universel, condamnés à inventer un nouveau modèle politique et qui citent souvent l’AKP (Adalet Kalkinma Partisi, Parti turc de la Justice et du Développement) comme source d’inspiration. Dans une perspective de réchauffement des échanges euro-méditerranéens, comment ne pas regretter le refus obstiné d’Angela Merkel et de Nicolas Sarkozy dès qu’il s’agit d’envisager l’adhésion de la Turquie à l’Union Européenne. Ce pays à majorité musulmane, qui connaît une croissance durable et soutenue, pourrait sans doute insuffler une énergie économique et culturelle à notre vieux continent. A l’heure où certains pays européens, en pleine crise de confiance, se tournent vers des dirigeants catholiques, une diversité confessionnelle serait la meilleure garantie d’une séparation entre religion et gouvernance européenne.

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