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La Croatie solde ses affaires de corruption

Le 10 janvier 2010, les croates se choisissaient une nouvelle voie : celle du refus de la corruption. Un an après, l’arrestation de l’ancien premier ministre Ivo Sanader et les poursuites engagées contre une douzaine de personnalités marquent une étape importante.

En votant à plus de 60 % pour Ivo Josipovic, le plus latin des peuples slaves ne s’est pas seulement choisi un nouveau président, il a rompu avec trois décennies de corruption. Une sale habitude née avec l’agonie du socialisme et les dinars yougoslaves (la monnaie d’alors, remplacée depuis par la kuna) systématiquement glissés aux médecins, aux policiers ou aux fonctionnaires. La pratique s’amplifie après la guerre des Balkans quand le premier Président de la République de Croatie (de 1991 à 2000), le très controversé Franjo Tudjman, privatise l’économie croate en bradant les entreprises publiques sans véritable contrôle. Ces privatisations sont à l’origine des scandales politico-financiers qui défraient la chronique aujourd’hui.

La présidence suivante, celle de Stjepan Mesic (de 2000 à 2010), est dominée par l’essor économique. Ses moteurs sont un vaste programme de reconstruction et le développement touristique. Les capitaux prêtés par les institutions internationales (notamment l’European Bank for Reconstruction and Developpement) et des investisseurs privés affluent. L’immobilier marche fort en Croatie mais aucun marché ne peut être obtenu sans une distribution d’enveloppes de plus en plus fournies. Un système dénoncé en aout 2006 par Goran Strok. Cet homme d’affaires croate, qui dirige un groupe spécialisé dans l’hôtellerie haut de gamme, enregistre plusieurs conversations et les dépose sur le bureau de l’USKOK (agence gouvernementale créée en 2001 pour combattre la corruption et le crime organisé).

Des hauts-fonctionnaires, de puissants entrepreneurs connus pour leurs connexions au sommet de l’état lui réclament de vive voix des centaines de milliers de kunas pour garantir l’obtention de diverses autorisations. Ce « scandale des cinq étoiles » permet de démanteler le système de racket organisé qui gangrénait tout l’économie touristique autour de Dubrovnik. Une affaire emblématique soulignée par les responsables européens chargés de superviser les dossiers de candidature à l’entrée dans l’Union. Fin 2007, leur message au gouvernement croate est simple : les efforts législatifs réalisés vont dans le bon sens mais il faut redoubler d’efforts dans la lutte contre la corruption pour espérer boucler les négociations d’adhésion en 2011.

En 2008, l’affaire Eurokamion vient à point. Elle implique un des poids lourds de la politique croate, Berislav Roncevic, récemment nommé ministre de l’intérieur pour des faits datant de 2004, époque où il dirigeait le ministère de la défense. Ils concernent un important marché public : l’achat par l’armée croate d’un lot de 39 camions pour 34 millions de kunas (4,6 millions d’Euro). Le cabinet du ministre a tout fait pour favoriser l’importateur de Zagreb Eurokamion dont l’offre était pourtant supérieure de 10 millions de kunas (1,2 million d’Euro) à celle de son concurrent. Jugé coupable d’avoir fait passer l’intérêt de la firme avant celui de l’Etat, l’ancien ministre de la défense et de l’intérieur vient d’être condamné à quatre années de prison ferme par un tribunal croate. Mais les enquêteurs s’intéressent maintenant à un autre marché signé en 2007 par le même Berislav Roncevic : 112 millions d’Euro versés à la société finlandaise Patria pour l’achat de 84 véhicules blindés. Un homme d’affaires autrichien aurait garanti le marché aux dirigeants de Patria contre le versement de commissions à des responsables politiques. En 2009, c’est un vice-premier ministre qui tombe. Ministre de l’économie et numéro deux de l’équipe Sanader, reconduit durant quelques mois aux côtés de Jadranka Kosor – l’actuelle chef du gouvernement croate – Damir Polancec est contraint à la démission en octobre. Malgré son accession à d’importantes responsabilités politiques, Polancec n’a jamais coupé les ponts avec son ancien employeur, le puissant groupe agroalimentaire semi-public Podravka. Il a notamment confondu ses casquettes lors de transactions entre Podravka et la banque hongroise OTP puis à l’occasion de négociations entre Podravka et le groupe pétrolier MOL, hongrois lui aussi. Pour les enquêteurs de l’USKOK, cette implication du premier décideur économique croate n’était pas dénuée d’intérêts. Enfin, en 2010, vient le tour d’Ivo Sanader, membre de différents gouvernements de 1992 à 2000, premier ministre de 2003 à 2009. L’ancien homme fort de la Croatie qui a bénéficié du soutien d’Angela Merkel et d’autres responsables des partis conservateurs européens fuit la Croatie.

Après la levée de son immunité parlementaire, il tente de rejoindre l’Université de Colombia où l’attend un poste d’enseignant. Mais les Etats-Unis suspendent in-extrémis son visa et Sanader est arrêté en Autriche le 10 décembre puis placé en détention à Salzbourg en attendant son extradition. Plusieurs affaires conduisent jusqu’à lui, les chefs d’inculpation sont variés : Corruption dans le dossier Fimi Media. Le premier ministre aurait en effet ordonné aux dirigeants des entreprises publiques (autoroutes, électricité, banque postale et une nouvelle fois le groupe Podravka) d’acheter des campagnes publicitaires réelles ou fictives à Fimi Media. Selon un témoin, des sacs contenant des millions de kunas en petites coupures auraient transité depuis le siège de l’entreprise de communication jusqu’à la villa de Sanader. Abus de Pouvoir dans le dossier Dioki. Le premier ministre aurait ordonné que l’électricité soit fournie à des tarifs particulièrement bas aux entreprises amies de son parti, notamment la compagnie Dioki spécialisée dans la transformation des dérivés pétroliers. Blanchiment d’argent dans le dossier Hypo Banka. En 1993, cette banque autrichienne a d’abord financé les projets de Franjo Tudjman, le mentor de Sanader, avant de créer une filiale croate (Hypo Banka Croatia).

Lors de l’essor touristique croate des années 2000, cette audacieuse implantation va attirer de nombreux investisseurs européens et dans le même temps accorder des prêts très avantageux aux décideurs proches de Tudjman (comme d’ailleurs aux proches de Jorg Haider en Autriche) dont fait partie Sanader. Une dangereuse connexion politico-financière dans laquelle les règles élémentaires de prudence sont contournées. Le financement de programmes immobiliers croates intéresse les enquêteurs. Le système s’effondre à la fin des années 2000. Malgré le soutien de banques allemandes et autrichiennes, Hypo Banka doit être nationalisée en décembre 2009. Les sommes perdues, abyssales, se chiffreraient en centaines de millions d’Euro. Ivo Josipovic veut faire de la Croatie « une des étoiles les plus brillantes de l’Union Européenne » à compter de 2012. Devenu président, ce professeur de droit social-démocrate montre la voie. Si Jadranka Kosor, chef du gouvernement conservateur et surtout l’USKOK œuvrent dans cette direction, la police croate freine encore beaucoup de procédures. Ce type de réflexe doit encore être changé et c’est sans doute le plus difficile.

Les croates doivent accepter un changement d’époque, l’abandon d’un système et de peurs très profondément ancrés. Même importantes, les interpellations de Sanader, de ses principaux ministres et alliés ne sont donc que des étapes. Chaque année, la corruption coûterait 4 milliards de kunas (540 Millions d’Euro) à l’économie croate.

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